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Nouvelle donne

12 septembre 2008

Si vous êtes arrivé ici...

Si vous êtes arrivé ici par le biais d'un moteur de recherche, alors c'est que vous êtes à la recherche de :

BARBARIE, SADISME, PSYCHOPATE, SERIAL KILLER, TUEUR, FANTASTIQUE, HORREUR, THRILLER, NOUVELLE, HISTOIRE, FOU FURIEUX, ETRANGE, PARANORMAL, REVENANT, MEURTRE, MEURTRIER, MENACE, DANGER, MORT VIVANT

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7 septembre 2008

Au Suivant

Tout le monde s'éclatait à la « queue leu-leu », comme le crachait les hauts parleurs. Bien sûr, il y avait bien quelques exceptions : grand-mère qui se fait chier dans le fond, le trentenaire d'une timidité maladive vissé sur sa chaise, la moche en mal d'amour mais qui espère quand même... enfin, tous les ingrédients d'une fête de mariage, avec ses beaufs, ses alcooliques notoires ou occasionnels, ces gamins qui courent partout entre les jambes de tout le monde.

Patrick, ce soir là, avait l'air d'un con... et il s'en doutait. Il avait sur sa tête un chapeau de paille mauve à larges bords effilés qui lui donnait des airs de Geneviève de Fontenay sur un char de la Gay Pride. Ridicule. Mais il était bourré et cela ne lui arrivait jamais, alors pourquoi ne pas profiter...

Il agrippait les épaules de Josiane : petite taille, boulotte, verres de lunettes « cul de bouteilles », tunique à fleurs d'un goût douteux, un vrai top-model. Derrière lui, Raymond : moustache, cheveux châtains avec la raie sur le côté, couperose et bedaine se balançant au rythme endiablé de la bande à Basile : que du bonheur.

Super, La danse des canards ! Une bonne occasion de se secouer le bas des reins en faisant coin-coin ! Patrick lâcha les épaules du jambon de Bayonne et le gros beauf derrière lui en fit de même.

Il claqua alors des aisselles en imitant la volaille et se secoua le bas des reins...

Mais toute cette agitation lui rappelait qu'il était doté d'une vessie et qu'il fallait vidanger. La Queu leu-leu et la Danse des canards c'est bien, mais ça donne sacrément envie de pisser, à la longue !

Il fit un petit signe à Natacha, sa femme, et se dirigea en titubant vers les toilettes, un peu comme ces jeunes de cité à qui l'on a envie de crier : « Eh mec, ça va ? Tu t'es fait mal à la cheville ? On dirait que tu boites... ha mais non, suis-je bête... c'est pour te donner un style... », sauf que Patrick, lui, il était plein comme un œuf, et que question style, avec son chapeau ridicule, il fallait repasser.

Sur la porte des toilettes était scotchée une affichette : « Toilettes hommes fermées. Utilisez les toilettes dames. »

Merde... fait chier. Il tenta tout de même d'ouvrir la porte.

Il actionna la poignée et fut ébloui par le fort éclairage artificiel qui contrastait avec l'ambiance tamisée de la fête. Il remarqua qu'il n'y avait pas de pissotières. Tant mieux, il n'avait jamais aimé ces immondes vasques puantes. Une rangée de box : il se dirigea vers celui qui lui faisait face. Le témoin était vert et il n'y avait qu'à pousser. Petite pichenette. Les gonds gémirent et le spectacle fut terrifiant.

***

La lame du bistouri brillait sous la lumière crue des néons. Une traînée pourpre en barrait la largeur et le sang s'accumulait sur le manche, formant une épaisse goutte prête à plonger dans le vide.

Les deux hommes étaient debout sur les W-C, couvercle rabattu. L'un d'eux était en meilleure position que l'autre : il se trouvait derrière sa victime et lui pressait la lame contre la gorge.

Patrick fit un bon en arrière et se retrouva les fesses par terre. Son chapeau valdingua dans les airs. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il voyait. Ses yeux étaient écarquillés comme s'il venait de voir la vierge Marie derrière dans vitrine Amstellodamoise. Il décuva en un clin d'œil.

La terreur se lisait sur le visage des deux hommes. Ils étaient tous les deux vêtus de pantalons à pince sombres et de chemises blanches.

Malgré la terreur qui lui serrait les intestins et faisait battre son cœur au rythme d'un marteau-pilon, Patrick lâcha :

« Que... qui êtes vous... qu'est-ce-qu'il se passe ici, bordel de merde !

— Je... je ne sais pas... putain... merde, quoi ! Répondit en larmes le type qui tenait le bistouri.

— Mais putain j'vais appeler les flics, moi ! C'est quoi ce bordel ! Mais vous êtes complètement à la masse ! »

Les « coin-coins » étouffés de la Danse des canards filtraient à travers les murs.

Patrick se releva et fonça jusqu'à la sortie. Merde ! La porte coinçait. Il secoua cette putain de poignée mais rien ne venait. Quelqu'un avait verrouillé cette satanée porte ! Il tambourina avec les poings, le plat des mains... mais la musique était trop forte, personne ne l'entendait. Il se retourna, condamné à affronter la scène qui se jouait devant lui.

Il s'approcha des deux hommes d'un pas hésitant. Le marteau-pilon dans sa poitrine se mit en mode maximum. A deux mètres de distance, il s'immobilisa.

« Putain, mais vous allez me dire ce qu'il se passe ici, bordel ! » lâcha t-il avec de légers trémolos dans la voix.

L'homme qui avait le bistouri sous la gorge sanglotait. Derrière lui, son bourreau prit une longue inspiration et demanda :

« Où avez-vous trouvé ce chapeau ?

— Quel chapeau ? Ha... ce truc immonde, derrière moi ?

— Ce truc immonde, oui...

— C'est une vieille tordue qui me l'a filé sur la piste de danse... »

Silence.

« Il ne fallait pas accepter », dit le bourreau d'une voix monocorde.

Une goutte résonna à travers la tuyauterie.

« Vous êtes le prochain. »

Les yeux de Patrick s'arrondirent et sa tête se tendit en avant.

« Comment ça, vous êtes le prochain ? Le prochain quoi ?

— Le prochain bourreau. »

***

Les notes étouffées de la Danse des canards se fondaient dans celles de Big bisous de Carlos. L'enchaînement était parfait, à en faire pâlir de jalousie David Guetta.

Les toilettes hommes auraient pu rester cet endroit sympathique dont la seule vocation est de se soulager avant de retourner faire la fête... mais voilà, trois hommes pétrifiés d'horreur s'y retrouvaient piégés par une foutue porte qui refusait de s'ouvrir.

L'espace d'un instant, Patrick pensa que cette fête était nase et qu'il faisait partie d'un troupeau de mouton à qui l'on sert de la merde rythmée par la Danse des « connards » et autre Big bisous. Il était un enfoiré de mouton qui faisait face à l'un de ses congénère prêt à subir l'Aïd el-kebir, égorgé à l'est pour peu qu'il soit dans la bonne direction. Et ce type derrière, un trou de cul de taré qui lui annonçait qu'il allait être le prochain bourreau. Mais le prochain bourreau de quoi, de qui ? Qui était ce débile pour lui dire ce qui allait être ou ce qu'il devait faire ? S'il comptait lui faire un quelconque chantage en menaçant de saigner ce mec, qu'il se mette un doigt dans le cul et qu'il fasse l'avion avec ! Pas question de céder aux faveurs de ce cinglé. Après tout, il ne connaissait pas ces types. Il ne voulait rien à voir à faire avec eux. Tout ce qu'il demandait, lui, c'était de continuer à brouter de la merde avec ses potes ovins.

« Quel prochain bourreau ? Mais qu'est-ce-que vous racontez... c'est quoi cette merde !

— J'ai moi aussi accepté ce chapeau quand la vioque me l'a proposé...

— Mais j'en ai rien à foutre ! Je vois pas le rapport, bordel !

— Nous ne sommes pas seuls... »

En un éclair, Patrick tourna la tête à droite, puis à gauche. Rien.

« La vioque... elle est ici...

— Moi je vois rien du tout. Mais vous êtes complètement zingué, mon pauvre ami ! »

Silence. Nouvelle inspiration.

« Je dansais sur la piste lorsque la vioque m'a proposé ce putain de chapeau. Je l'ai accepté. Ensuite j'ai eu envie de pisser. Je suis entré dans les toilettes hommes bien qu'une affiche indiquait qu'elles étaient fermées... et qu'il fallait emprunter celles des femmes. »

Patrick se souvenait lui aussi.

« J'ai tout de même tenté le coup et la porte s'est ouverte. Lorsque j'ai poussé la porte des chiottes je me suis retrouvé nez à nez avec deux types, exactement dans la même position dans laquelle je me trouve avec monsieur ». Il désigna de la tête l'homme qu'il étreignait et menaçait avec le bistouri.

Des clameurs étouffées s'élevèrent de la salle. Certainement un abruti se croyant plus malin que les autres et qui réalisait une pitrerie au milieu de la piste, encerclé d'une bande d'abrutis pathétiques et avinés...

« Le mec que je suis en train de menacer avec cette putain de lame... c'était le type qui se trouvait à ma place lorsque j'ai ouvert la porte. Vous comprenez ? Je me retrouve à la place du bourreau, et bientôt, ce sera votre tour. »

Le type menacé par le bistouri regardait Patrick avec les yeux d'un animal que l'on s'apprête à exécuter. Une gigantesque tâche sombre dont l'épicentre se situait au niveau de la braguette s'étirait le long des jambes de son pantalon. Sa respiration était forte et des larmes couraient le long de ses joues. C'était un homme d'une quarantaine d'années, calvitie naissante, alliance et grosse montre dorée. En tant que chef de foyer, il devait être un repère pour ses enfants... il devait incarner la fermeté, la force et la sécurité au sein de sa petite famille. Mais ce soir, il n'était plus qu'une fiotte qui s'est pissée dessus.

Big bisous se fondit en Viens boire un p'tit coup à la maison. Applaudissements et soupirs de satisfaction, Licence IV avait son fan club.

« La vioque est ensuite entrée dans les chiottes, et...

Le volume de la musique augmenta en un clin d'œil. Patrick tourna la tête. On venait d'ouvrir la porte.

***

La vioque. Elle referma derrière elle. Cheveux gris, dos voûté, robe noire et foulard aux motifs sentant la naphtaline, elle ressemblait à ces vielles femmes des pays de l'est qui portent toute la misère du monde sur leurs épaules et que l'on voit au journal de vingt heures, entre deux tanks et trois casques bleus.

Patrick recula. La vieille le fixa de ses petits yeux espiègles et s'avança vers lui. Elle se courba et agrippa d'une main osseuse le chapeau ridicule, puis le vissa sur sa tête. Il lui donnait un air de « Mamie Nova » anorexique batifolant avec madame de Fontenay à la Gay Pride. Elle en caressa les bords, puis porta les mains devant sa bouche, paumes orientées vers le plafond, et souffla dessus en les ouvrant en direction des deux hommes sur le couvercle.

L'homme qui se trouvait sous le joug du bistouri se mit à pousser un cri de cochon, s'était la première fois que Patrick entendait le son de sa voix. La tâche sombre de son pantalon s'élargit. Les yeux de son bourreau se révulsèrent et devinrent tout blancs.

Patrick resta pétrifié devant la scène. Il était incapable de bouger, ni même de crier : l'atrocité lui souriait, et il la regardait au fond des yeux.

Le bistouri s'enfonçait dans la gorge et glissait à travers la peau avec une lenteur toute inhumaine. Le sang dégoulinait comme un robinet ouvert. Le refrain de Viens boire un p'tit coup à la maison filtrait toujours à travers les murs.

La victime poussait des cris d'une truie que l'on exécute. La scène était insoutenable.

Allez viens boire un p'tit coup à la maison. Le sang gicle sur les parois. Y'a du blanc, y'a du rouge du saucisson. Les cordes vocales se sectionnent. Et Gillou avec son p'tit accordéon. Les cris cessent. Vive les bouteilles et les copains et les chansons. Le sifflement de l'air qui s'infiltre dans la gorge béante, ensanglantée et grouillante de bulles écarlates.

Le bourreau relâcha son emprise et le bistouri tomba au sol. Le corps s'écrasa par terre, tressautant au rythme des efforts qu'il faisait pour aspirer l'air. Puis le sifflement baissa en intensité, la mort se profilait.

Patrick était paralysé d'effroi. Il fixa la vieille de ses yeux écarquillés. Elle souriait.

Dans un soubresaut il vomit, puis cracha et s'essuya la bouche du revers de la main. La vieille caressa à nouveau les rebords du chapeau et souffla sur ses mains en visant Patrick. Ce dernier sentit des frissons lui parcourir la colonne vertébrale. Puis il fit un pas en avant, timide... et un second, comme s'il était téléguidé. Un troisième, puis un quatrième...

Il se dirigeait vers les deux hommes mais stoppa net sa progression lorsque la vieille lui fit signe d'arrêter. Elle pénétra ensuite dans le box et hissa le corps agonisant à l'extérieur. Le bourreau, vissé sur la cuvette, fixait le vide de ses yeux blancs, la bave aux lèvres.

Le volume de la musique augmenta de nouveau et la porte des toilette hommes s'ouvrit sur trois hommes qui se ressemblaient comme des frères. Tous les trois avaient le teint mat, les cheveux noirs et les yeux clairs. L'un deux transportait une couverture et du matériel de nettoyage.

Ils se rassemblèrent autour du corps agonisant, lui bandèrent la plaie afin d'éviter que le sang ne se propage et l'enroulèrent dans une couverture. Le tube ainsi formé se tordait comme un ver que l'on vient d'écraser. Plus pour très longtemps.

Puis vint la séance de nettoyage. Les éponges absorbèrent le sang sur le sol et les parois. Même les déjections gastriques de Patrick furent nettoyés. La scène dura dix bonnes minutes. Pendant ce temps la vieille observait, le sourire en coin.

Patrick était impuissant. Il sentait son cœur cogner à tout rompre dans sa poitrine.

La vieille lui fit signe d'avancer.

***

Patrick se dirigea comme un automate vers le bourreau. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il ramassa le bistouri et grimpa sur le couvercle afin de se placer derrière lui. Il l'étreignit de sa main gauche au niveau de l'abdomen tandis que sa main droite lui pressa la lame contre la gorge.

Le bourreau, devenu victime, recouvra peu à peu ses esprits. Ses iris reprirent une position normale. La vieille s'approcha des deux hommes et s'adressa à Patrick :

« Tu as accepté le chapeau, tu en assumera les conséquences. »

Elle soupira avant de reprendre :

« Je te conseille de ne pas bouger d'un cil. Tu as pu constater combien le pouvoir de la magie était grand. Tu vas bientôt être libéré de ton sort et tu vas pouvoir retrouver ton libre arbitre. Si tu bouges un orteil, méfiance... »

Elle ramassa le chapeau, referma la porte du box et quitta les toilettes hommes en claquant la porte.

Patrick sentait qu'une chaleur envahissait son corps. Des milliers de picotements lui grouillaient au niveau des extrémités : il reprenait possession de son corps.

Fallait-il prendre au sérieux les menaces de cette sorcière ? Il avait été le témoin de ce qu'elle était capable de faire... et du pouvoir de ce chapeau maléfique.

Les deux hommes ne bougeaient pas. L'un parce qu'il se méfiait des mises en garde de la vieille, l'autre parce qu'il n'avait pas envie de mourir sous le fil du bistouri.

Patrick, les larmes aux yeux, pensa à Natacha qui se trouvait dans la salle de fête et ne se doutait de rien.

YMCA des Villages People prenait le relais en fond musical.

Combien de temps allaient-ils rester dans cette position ? Qui sera le suivant ?

Young man, there's a place you can go. Un néon qui tressaute. I said young man, when you're short on your dough. Une goutte qui résonne. You can stay there, and I'm sure you will find. Les tuyaux qui gargouillent. Many ways to have a good time...

Le volume augmente. It's fun to stay at the YMCA. La porte des toilettes s'ouvre. It's fun to stay at the Y—M—C—A...

Des pas... la porte du box s'ouvre... une femme avec un chapeau ridicule sur la tête.

Merde, Natacha...

2 septembre 2008

Quelqu'un d'autre

    L'automne donnait à la forêt des tons incroyables. Le jaune flamboyant côtoyait le rouge vif comme une explosion de tons chatoyants. Sam et Lisa se tenaient par la main et contemplaient l'exubérance des teintes automnales.

    Cela faisait maintenant dix ans qu'ils vivaient ensemble dans leur petit appartement du centre-ville de Morlet. Lui était vendeur dans un magasin de literie et donnait quelquefois des cours de piano aux gosses du quartier. Elle, était serveuse à mi-temps dans la restauration rapide. Ils avaient respectivement trente et vingt-neuf ans, et des rêves plein la tête.

    Ils aimaient se promener le Dimanche sur leur sentier forestier préféré, se laissant à imaginer ce que pourrait être leur vie dans plusieurs années : des enfants, une grande maison « construite autour du barbecue en dur », comme aimait à plaisanter Sam, et un magnifique piano à queue dans le salon.

    Ils marchaient depuis plus d'une heure sur ce sentier qui avait la forme d'une boucle. Lorsqu'ils arrivèrent au niveau du petit panneau en bois qui annonçait que le parking se trouvait à un kilomètre et demi, Sam décida qu'il était temps pour lui de faire une petite vidange. Il était très pudique, et l'idée seule qu'il puisse être vu, même entraperçu par de quelconques promeneurs représentait pour lui un véritable cauchemar. Comme d'habitude, il allait s'éloigner du sentier pour s 'enfoncer dans la forêt, à l'abri des regards. Cela amusait beaucoup Lisa qui lui demandait, d'un air plutôt amusé, combien de kilomètres il comptait faire pour aller faire ses affaires. Elle lui recommandait de faire attention aux écureuils, qui pourraient être témoins de faits traumatisants. Mais Sam n'en avait cure, il était habitué aux gentilles petites railleries de sa douce.

    - J'en ai pour une minute, dit-il, tu n'as qu'à continuer, je te rattraperai.

    - Oui, bon je crois que je vais t'attendre ici, répondit-elle avec un léger sourire, parce que le temps que tu reviennes de ton « expédition », je serai peut-être déjà arrivée à la voiture.

    - Très bien... à tout de suite, dit-il en lui déposant un baiser sur le front.

    Puis Sam s'enfonça dans la forêt, suffisamment pour ne pas être à la portée de vue d'éventuels promeneurs, voire de pervers qui s'intéresseraient à son « matériel de pointe ». Il enjamba les branches mortes tombées à terre, piétina l'épais tapis de feuille colorées qui nappait le sol chargé d'humidité et d'humus, et finit par trouver un magnifique chêne au tronc imposant qui semblait lui dire : « Vas-y, fais toi plaisir, c'est sur moi que tu peux pisser, je te donne l'autorisation. »

    Sam ne put réprimer un soupir de satisfaction. Le flot d'urine se déversait sur le tronc majestueux et dégoulinait en cascade jusque dans le tapis de feuilles mortes.

    Un violent frisson le traversa, comme une décharge électrique. Il avait les jambes en coton, ses pupilles étaient dilatées. Il mit deux à trois secondes avant de retrouver ses esprits. Jamais il n'avait ressenti pareille sensation. Il venait de vivre un moment de totale extase.

    Il secoua la tête pour mieux se réveiller, cligna des yeux et remonta sa braguette. Fin de l'exercice. Maintenant, il fallait rejoindre le sentier.

    - Désolé pour l'attente... dit Sam d'un air penaud à Lisa, qui commençait à tourner en rond comme dans une bille dans un entonnoir.

    -Ce n'est pas grave... bon, faut se dépêcher de rentrer à la maison, si on veux pas arriver en retard.

    La réflexion de Lisa lui parut étrange. Ils n'avaient rien de spécial de prévu ce soir. Mais il ne releva pas.

    - Dis-donc, tu as pris un coup de soleil ? je te trouve le teint un peu rougeaud...

    - Heu... je ne crois pas, non... par contre, j'ai une sacrée migraine ! Et puis je suis en nage.

    - J'espère que tu n'es pas malade...

    Sam et Lisa reprirent le sentier afin de regagner le parking. Dans la voiture, Lisa ne fut pas très bavarde. D'habitude, c'était madame je-n'ai-rien-à-dire-mais-je-parle-quand-même-parce-que-j'ai-envie-de-parler, ce qui avait le don d'agacer Sam, qui se contentait de répondre par des « mhmm » évasifs. Il profitait donc de ce moment de grâce, en savourant le silence.

****

    Lisa s'affaira à ouvrir la lourde porte blindée à trois points, le genre qu'il vous faut une éternité à ouvrir et qui n'a rien à envier à celles qui peuplent les prisons.

    Sam perçu du bruit dans l'appartement. Pourtant personne n'était censé s'y trouver. Encore un tour de clé, et la porte s'ouvrit.

    Il ne comprenait pas. Que faisaient ces mômes dans leur appartement ? Ils n'attendaient personne, rien n'avait été prévu d'autre que de rentrer tranquillement à la maison et de prendre une douche bien chaude. Deux bambins couraient dans leur direction.

    - Lisa, qu'est-ce-qu'ils font là ?

    Il s'attendait à ce qu'elle soit au moins tout étonnée que lui. Mais ce n'était pas le cas, elle le regarda d'un air surpris.

    - Comment ça, qu'est-ce-qu'ils font là ?

    - Ces mioches, ce sont ceux des voisins de l'immeuble d'en face, qu'est-ce-qu'ils font ici ?

    Elle le fixait avec des yeux ronds comme des billes et des sourcils haut-perchés.

    - Sam, tu es sûr que ça va ?

    Les gamins se jetèrent sur eux, les couvrant de bisous. Sam ne savait pas comment réagir. Lisa s'en rendait compte, et restait incrédule. Tout en pensant qu'il était bien inutile de lui rappeler, elle se risqua :

    - Sam, ce sont tes gosses... ça va, t'es sûr ?

    « Tes gosses ? » Comment ça tes gosses ? Cela faisait dix ans qu'ils vivaient en union libre, et ils n'avaient jamais eu de gosses ! Lisa débloquait-elle ?

    - Attends Lisa... nous n'avons jamais eu d'enfant ! Tu délires où quoi ?

    Lisa avait cette expression qui laissait entendre qu'elle se retrouvait face à un déglingué. Elle devenait l'axe d'un monde qui lui tournait autour et qui l'enfonçait dans les tourbillons de l'incompréhension. Elle le savait plutôt fragile psychologiquement, il avait déjà fait deux où trois courtes dépressions qui l'avait mené à consulter un psy, mais là... elle ne comprenait vraiment rien. Était-il devenu fou ?

    Sam était tendu comme un arc. Il remarquait la mine abasourdie de sa compagne, et se sentait aussi perdu qu'un morceau de biscuit tombé dans un grand bol de café. Il n'était pas fier, du haut de son mètre quatre-vingt cinq porté par un corps athlétique. Ces gamins avaient le don de le rendre nerveux... et méfiant comme la dernière des fiottes.

    - Écoute, Sam, tu commences à me faire peur, là...

    Elle marqua une pause avant de lancer :

    - Bon, de toute façon on a pas le temps, il faut qu'on mène Nicolas et Kévin au piano, il est déjà seize heures quinze et...

    -Nicolas et Kévin au piano ? Mais qu'est-ce-que tu racontes ?

    Il ne comprenait vraiment rien. Ces foutus gosses n'étaient pas les siens, et que cela soit le cas où non, il pouvait très bien donner lui-même des cours de piano ! Lisa devenait complètement folle... désaxée du ciboulot. Il lui semblait que son teint était de plus en plus rougeaud, et que la sueur lui dégoulinait du front comme une éponge gorgée d'eau que l'on presse, lui donnant un aspect trempé. Les gamins avaient rejoint le salon et jouaient à « trappe-trappe » dans un déluge de rires.

****

    Sam était affalé sur le canapé. Lisa était partie avec « les gosses » au piano. Lorsqu'elle claqua la porte, la frayeur se lisait sur son visage plus que l'incompréhension. Les deux gamins qui soit-disant étaient censés être les siens avaient quitté le domicile avec leur soit-disante mère.

    La situation était dramatique : deux gamins qui braillent à en fendre les murs, une bonne femme qu'il connaissait depuis dix ans et qui affirmait que ces mioches étaient les leurs, et la sensation de devenir complètement fou.

    Une lampée de whisky, une de plus. Au moins, le sevrage frelaté ne lui fairait pas défaut. Il savait où le trouver et comment le boire, aussi. Il était une réalité, lui. Une réalité rendu plus douce par les délicieux effets éthyliques.

    L'alcool lui tournait la tête. Un peu trop, même. En tout cas, bien plus que d'habitude. Il fallait qu'il s'allonge. Le chemin jusqu'à la chambre lui semblait être un parcours d'équilibre. Tant bien que mal il atteignit la pièce, bravant le roulis et le tangage. Il ouvrit le dressing afin d'y récupérer un pyjama, se déshabilla et s'écrasa sur le lit.

    Il fut réveillé par le désagréable bruit d'une chignole en rut à la recherche d'une femelle. Il regarda sa montre et constata qu'il ne dormit qu'une demie-heure. Dans un brouillard de sommeil, il s'assit sur le bord du lit . Il avait la bouche pâteuse et il fallait qu'il boive un peu. Mais de l'eau, cette fois-ci.

    Il se dirigea vers la cuisine en titubant. Il constata qu'aucune bouteille d'eau n'avait été mise au réfrigérateur, ni même dans la loggia. Il décida de descendre en chercher à la cave, s'il ne voulait pas mourir desséché comme une huître ouverte en plein cagnard.

    Deux étages à descendre. Autant de marches à affronter dans un équilibre plus que précaire. Puis le dédale de couloirs sombres et inquiétants du sous-sol. La clé à introduire dans une serrure à peine éclairée par la lueur maladive d'un vieux globe. Il fallait ensuite tâtonner pour trouver la lampe de poche perchée en équilibre sur un tréteau, lui même adossé au mur.

    Contact des doigts. L'ampoule allait pouvoir s'éclairer.

    Sam resta pétrifié. Il ne reconnaissait pas l'endroit. Rien ne correspondait à ce qui était imprimé dans sa mémoire; aucune des étagères sur lesquelles étaient entreposées habituellement des boîtes de conserve et autres bouteilles d'eau minérale ne se présentaient sous ses yeux. A la place, un fouillis de planches vermoulues et de gravats envahissait la petite pièce, évoquant un véritable champs de bataille.

    Il fallait qu'il se réveille de ce cauchemar, et tout de suite. Il se dit qu'il nageait en plein délire, que le coup de la cave commençait à faire beaucoup, que tous ces événements étaient inconcevables. Et pourtant... il se trouvait bel et bien dans une pièce qui ne correspondait pas du tout à celle qu'il connaissait. Il pris du recule afin de vérifier qu'il ne s'était pas trompé d'endroit. Non, il n'avait pas fait erreur : il s'agissait bien de la cave numéro huit; c'était écrit en gros sur la porte au feutre noir.

    La curiosité finit par remplacer la consternation. Sam entreprit de visiter les lieux de manière approfondie. Il s'avança vers le milieu de la pièce et en inspecta les moindres recoins sous le cône timide et jaune pisseux de sa lampe de poche. Des parpaings, des tasseaux et des veilles planches s'entassaient sur le sol poussiéreux.

    Il souleva quelques gravats noircis par la crasse. De minuscules particules batifolaient dans le rai de lumière.

    Une poignée... elle apparut sous un tas qu'il venait de dégager. Légèrement torsadée, en métal. Autour se dessinait les contours d'une trappe. Il la tira, mais rien ne bougeait. Après examen minutieux, il se rendit compte qu'il restait encore quelques gravats qui gênaient l'ouverture. Il débarrassa les derniers obstacles et tira de nouveau sur la poignée.

    Les gonds émirent un grincement strident. Une odeur de rance s'échappa du gouffre et emplirent les narines de Sam. Les effluves sépulcrales se propageaient dans toute la pièce; le gouffre exhumait son haleine fétide.

    Sam se tendit vers l'arrière afin d'inspirer un semblant d'air potable. Il reprit ses esprits et se pencha par-dessus le trou afin d'y plonger son faisceau lumineux.

    Sous le raie de lumière se profilait un capharnaüm dont se découpaient plus nettement quelques gros bocaux de verre. Une échelle plongeait dans l'antre... il fallait maintenant sauter dans ses entrailles.

    Sam entreprit la descente, la lampe de poche entre les dents. Il n'était pas rassuré. Le vieux bois de l'échelle craquait sous les appuis de ses mains et de ses pieds. L'odeur était de plus en plus épouvantable.

    Contact mat avec le sol. Terre battue. Effluves morbides de moisissure et de putréfaction.

    Il respirait fort. De ses mains tremblantes, il balaya la pièce de la lampe.

    Quelques mètres carré où s'entassaient de vieux livres et quelques outils. Au mur étaient fixées des étagères métalliques sur lesquelles étaient entreposés des bocaux de verre rendus opaques par une fine pellicule de poussière. Il braqua de près le cône de lumière sur l'un des récipients.

    L'horreur...

****

    Il fit un bond en arrière et trébucha. Accoudé au sol, il lui semblait que la pièce lui tournait autour, la terreur le secouait comme un oriflamme dans la tempête. Ce qu'il venait de voir dépassait l'entendement.

    Que lui arrivait-il ? Dans un élan de panique, il agrippa la veille échelle branlante et remonta à la hâte en surface.

    L'air vicié avait déjà contaminé le niveau supérieur lorsqu'il s'extirpa de la gueule obscure aux relents cadavériques. Il ne prit pas la peine de refermer derrière lui.

    Les escaliers semblaient être sans fin. Panique. La porte de l'appartement faisait enfin son apparition. Chercher la clé... le trousseau s'embrouillait entre ses mains, il tomba à terre. Recommencer.

    Sam parvint à ouvrir la porte et se retrouva nez à nez avec Lisa. Un léger rictus aux lèvres, elle le scruta avec des yeux pétillants. Les deux marmots se cachaient derrière ses jambes, le même sourire maléfique...

    - Alors, tu as fait des découvertes ?

    - Mais qu'est-ce-que tu racontes ? Ses yeux étaient exorbités, son teint pâle comme du maalox.

    - Lisa... qu'est-ce-que tout cela veut dire ? Ces bocaux, dans la cave ?

    - Tu as fait connaissance avec nos petits amis ?

    - Nos... nos pe... petits amis ?

    - Sam, ce sont tes victimes, tu en es l'artisan et je t'en félicite. Tu n'as pas à en avoir honte... dit-elle en élargissant son sourire.

    Les deux gamins hochèrent la tête, d'un air entendu.

    Il claqua la porte et dévala les escaliers. Une pression du pouce sur la clé, et la voiture émit un petit gémissement. Contact, première vitesse et couinement de pneu. Destination : la forêt.

    Il fallait qu'il en ait le cœur net. Tout avait commencé lorsqu'il était allé uriner contre cet arbre. Il en était persuadé. Lorsqu'il était revenu sur le sentier, Lisa avait commencé à avoir un comportement étrange. Elle ne parlait pratiquement plus, elle qui était si bavarde, d'habitude... et ce teint rougeaud, cette sueur qui l'inondait. Ce frisson extraordinaire qu'il avait ressenti lorsqu'il se soulageait. Il fallait qu'il retourne sur les lieux. Il voulait comprendre, même si au fond, il se doutait bien que cela ne servait pas à grand chose. Mais que faire d'autre ? Tout était si étrange et impalpable...

    Coup de frein sec sur le petit parking de terre. Un nuage de poussière enveloppa la voiture. Sam s'extirpa du véhicule et emprunta à la hâte le petit sentier qui pénétrait dans la forêt.

    Dix minutes plus tard, il repéra le petit panneau en bois, puis bifurqua et s'enfonça dans les arbres.

****

    Le corps, noyé sous des litres d'hémoglobine, était avachi contre l'arbre dans une position grotesque. La tête, qui reposait sur une épaule, n'avait plus rien d'humain. De la bouillie pourpre faisait office de visage. La blancheur de quelques dents se découpait parmi les nuances de rouges. Une forte odeur d'urine investissait les lieux.

    Sam crût défaillir. L'espace d'un instant, il songea à cette tête aux yeux exorbités, baignant dans un liquide et coincée dans le gros bocal de verre, dans la cave. Et maintenant, ce corps au visage massacré.

    « L.I.S.A » Quatre lettres gravées... la gourmette qu'il lui avait offerte pour son anniversaire. Ses effets personnels, maintenant : un pantalon kaki, une chemisette blanche... oui, cela correspondait à certains vêtements de sa garde robe. En une fraction de seconde, il comprit. Il sut que le cadavre au visage ravagé était la personne avec qui il partageait sa vie depuis dix ans. Mais la réalité était bien trop choquante, bien trop... irréelle.

    Il recracha plusieurs morceaux. Il en inspecta l'un deux au creux de sa main : de la chair.

    Un spasme... il vomit.

    Ses yeux étaient injectés de sang et son cœur battait au rythme d'un marteau-piqueur. Il courut comme sprinter jamaïcain à travers la forêt. Il ne voyait ni n'entendait rien. Tout s'embrouillait dans sa tête. Un goût du sang habitait son palais et ses sinus, un voile pourpre lui envahissait son champ de vision.

    Puis il se souvint. Il se souvint l'avoir invitée à marcher au cœur de la forêt, en dehors du sentier. Il se souvint l'avoir plaquée contre l'arbre, lui cognant la tête au point qu'elle en perde connaissance. Il se souvint lui avoir uriné dessus, dans un grand soupir de satisfaction. Il se souvint l'avoir étranglée, la laissant pour morte au pied de l'arbre. Il se souvint être retourné à la maison, puis avoir donné un cours de piano à deux gosses du voisinage, Nicolas et Kévin. Le cours terminé, il s'est saoulé devant la télé, a fait une courte sieste puis est descendu à la cave chercher de l'eau. Il en profita pour placer les têtes de Nicolas et Kévin qu'il avait arrachées à coups de hache dans deux gros bocaux remplis de formol. Il sut qu'il n'en été pas à sa première expérience, et que des restes de corps croupissaient dans la petite pièce sous la trappe, à proximité des bocaux, dégageant une odeur pestilentielle. Il sut aussi que la cave avait toujours servie de débarras, et que l'eau minérale se trouvait dans un petit placard du hall, dans l'appartement.

    Enfin, il se souvint être revenu au pied de l'arbre, afin de dévorer le visage de sa bien-aimée, la verge en érection, lui témoignant ainsi tout son amour.

    Sam et Lisa se connaissait depuis dix ans, ils vivaient dans un petit appartement du centre-ville. Ils projetaient d'avoir des enfants et de vivre dans une grande maison.

    Un beau jour d'automne, alors qu'il se promenait en forêt avec sa bien-aimée, Sam eut une révélation : il sut qui il était vraiment.

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